Pour illustrer de manière pratique les problèmes d'accessibilité que les personnes malvoyantes peuvent rencontrer pour accéder aux sites Web, nous allons analyser plusieurs sites de journaux de pays membres de l'Union Européenne. Nous nous concentrerons essentiellement sur l'analyse de la page principale de chacun de ces sites.
La méthode d'analyse utilisée consiste à vérifier que ces sites respectent les principales recommandations d'accessibilité définies par le Web Accessibility Initiative et à tester l'adaptation au Web du site dans les deux navigateurs adaptés qui ont été présentés précédemment.
Le choix de ces sites a été effectué en se basant sur les critères suivants : le journal doit être édité dans un pays membre de la communauté européenne, son tirage doit être supérieur à cent mille exemplaires par jour. En suivant ces critères, les sites qui ont retenu notre attention sont les suivants :
Le site du journal "Le Soir" fait un usage intensif de la technologie DHTML dans la construction de ses menus. Ce qui pose énormément de problèmes lors de l'utilisation d'un navigateur en mode texte parce qu'aucun de ces menus n'est utilisable. De plus, en ce qui concerne les visiteurs disposant d'une vue agrandie, certains menus sont trop grands pour tenir complètement dans un écran.
Ce site respecte peu de règles d'accessibilité. Aucune information alternative n'est fournie mis à part le texte "Cliquez ici". Même si un navigateur texte peut déchiffrer la première page de manière satisfaisante, la plus grande partie des informations disponibles sur le site reste inaccessible à cause de l'utilisation de technologies inadaptées et de l'absence d'informations alternatives.
La page principale du site Web du journal "Le Monde" comporte un menu latéral composé de liens HTML. Ce menu est d'une grande facilité du point de vue de l'accessibilité. Cependant, l'organisation de la page n'est pas idéale car elle commence par un lien vers les archives du journal et un lien vers de la publicité pour un autre site. Ces deux liens seront toujours lus en premier et ne seront pas compris par une personne malvoyante car ils ne possèdent pas de descriptions alternatives.
Dans un navigateur accessible tel qu'IBM Home Page Reader, la page principale est lisible mais commence par des images, un formulaire de recherche n'ayant pas de descriptions alternatives et un nombre important de liens n'ayant aucun rapport avec les actualités du jour.
Bien que la page principale n'utilise que des technologies simples dont l'adaptation au Web est bien maîtrisée par les navigateurs adaptés, l'organisation de la page et l'absence d'informations alternatives rendent le site difficile d'accès.
La page principale du Frankfurter Allgemeine Zeitung utilise un grand nombre de petits menus et sous-menus faisant appel à la technologie DHTML. Ces menus ne sont pas utilisables par un logiciel de navigation adapté car ils nécessitent l'utilisation d'une souris pour être activés. La structure de la page est relativement complexe : elle est divisée en 4 colonnes et comporte plus de 100 liens et 150 images.
Voici ce que donne la page principale dans le navigateur Lynx :
Ce site est un bon exemple de ce qu'il faut éviter si l'on désire être lu par un large public. Il est a supposer que le Frankfurter Allgemeine Zeitung n'est que très peu visité par les personnes malvoyantes.
La page principale du site du NRC Handelsblad a été conçue en pensant aux problèmes d'accessibilité que rencontrent les personnes malvoyantes. La page n'utilise que des technologies dont l'accessibilité est bien maîtrisée, son organisation permet de présenter en premier l'information pertinente sur un navigateur adapté. L'image de la page principale est correctement décrite par le texte alternatif suivant : "Iraakse jongens luisteren naar een les over lichte vuurwapens tijdens een militair zomerkamp, gisteren in Bagdad." (De jeunes Irakiens écoutent une leçon sur les armes à feu pendant un camp d'été militaire, hier à Bagdad).
Ce site a été conçu en respectant des règles d'accessibilité, son utilisation est aisée et le temps de chargement des pages est relativement rapide. Il n'y a que peu d'erreurs de conception mais il ne passe malheureusement pas le niveau de conformité "A" du WAI car des couleurs ont été définies dans la page, il manque deux descriptions alternatives et la structure de plusieurs tables n'a pas été complètement décrite.
La page principale du site Web du Journal El Pais n'utilise que des technologies dont l'adaptation est bien maîtrisée cependant la structure de la page n'est pas organisée de manière adéquate car sur un navigateur alternatif, la lecture de la page commence par une longue liste de liens qui correspondent au contenu du menu latéral.
Grâce aux avancées de l'adaptation au Web cette page est accessible aux personnes malvoyantes. Cette adaptation n'est malheureusement pas idéale à cause d'une mauvaise structure des pages. La visite de ce site reste fastidieuse pour une personne malvoyante.
Le site Web du journal " Corriere della sera " n'a pas respecté les recommandations proposées par le WAI. Sur la page principale, 52 images n'ont pas de description alternative, la structure de la page est composée d'une imbrication complexe de tables, de sous-menus, de formulaires et de publicités.
L'utilisation de ce site s'avère fort compliquée pour les personnes malvoyantes car bien qu'il n'utilise que peu de technologies d'avant-garde, aucune information alternative n'est fournie et la structure n'est pas adaptée à un visiteur malvoyant.
La page principale commence par des liens et de la publicité qui n'ont rien à voir avec l'actualité; sa structure est difficile à appréhender par une personne malvoyante car elle est divisée en 4 colonnes et se déploie sur 7 écrans et il n'y a aucun lien à l'intérieur de la page pour faciliter sa consultation.
Ce site n'a pas été conçu en tenant compte des problèmes d'accessibilité rencontrés par les personnes malvoyantes. L'absence d'information alternative, la complexité et la taille de cette page rend sa consultation par une personne malvoyante plus que fastidieuse.
Au terme de cette analyse, nous constatons qu'aucun des sites étudiés n'obtient un niveau de conformité " A " sur base des recommandations du WAI. Même s'il est évident que certains ont porté une attention toute particulière à la question de l'accessibilité (c'est par exemple le cas du quotidien néerlandais " NRC Handelsblad "), aucun n'arrive cependant à respecter le niveau de conformité minimum. Quelles conclusions pouvons-nous en tirer ?
Tout d'abord, les recommandations du WAI peuvent apparaître comme trop restrictives par rapport aux possibilités qu'offrent les navigateurs adaptés actuellement disponibles sur le marché. Par ailleurs si les concepteurs de sites Web ne respectent pas les règles édictées par le WAI, c'est parce qu'ils savent que leurs sites restent accessibles sans pour autant nécessiter d'adaptation. Les exigences du WAI relatives à l'octroi d'un niveau de conformité " A ", telles que définies en mai 1999, pourraient donc être revues à la baisse car l'absence d'un fichier de style ou la structure des tables ne posent plus réellement de problème d'accessibilité.
Ensuite, il faut constater que très peu de journaux européens se sont réellement souciés du problème de l'accessibilité à leur site Web. Si seule une minorité offre une description alternative aux éléments graphiques qui composent leur page principale, la majorité structure leur page de manière inadéquate et a recours à des technologies dont l'adaptation n'est pas encore maîtrisée.
Enfin, s'il convient de constater que l'adaptation au Web a connu des progrès majeurs (les navigateurs adaptés permettent de consulter l'ensemble de ces sites), leur consultation s'est souvent révélée fastidieuse et n'a fourni qu'une information incomplète par rapport à celle réellement disponible sur le site.